Depuis deux décennies, les violences ne cessent d’ensanglanter l’est de la République démocratique du Congo. Retour sur les causes historiques d’un conflit qui implique aussi le Rwanda et des groupes armés comme le M23.
Le 7 février dernier, à Abidjan, lors de la demi-finale de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) entre la République démocratique du Congo (RDC) et la Côte d’Ivoire, les footballeurs congolais ont décidé de faire un geste hautement symbolique. Au moment de leur hymne national et alors que les caméras étaient rivées sur eux, les joueurs ont mimé avec leurs doigts un pistolet braqué sur leur tempe et ont disposé leur autre main devant leur bouche, pour dénoncer le silence de la communauté internationale face à un désastre en cours.
Nombreux sont ceux qui ont dû se demander quelle était la cause de ce geste et ce que cherchaient à mettre en lumière les joueurs de la RDC. Conflit armé en cours depuis 2004, la guerre dans les provinces du Sud-Kivu et du Nord-Kivu (situées dans l’est du pays) a déjà été à l’origine du déplacement interne de près de 7 millions de personnes, comme le révélait l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), dans un rapport publié en octobre 2023. Le bilan humain est lui très difficile à estimer. On parlerait toutefois de la mort de millions de personnes depuis que cette zone orientale de la RDC est en proie à l’instabilité politique, depuis la fin des années 1990.
Que se passe-t-il dans la région du Kivu pour qu’un massacre d’une telle ampleur se produise depuis plus de vingt ans maintenant, sans qu’une solution politique n’ait pu être trouvée entre-temps? Face à un objet géopolitique complexe, il est important de mettre de l’ordre dans cette guerre reléguée au second plan à l’échelle mondiale, dans une région déjà soumise à de multiples drames ces dernières décennies.
Le génocide des Tutsis au Rwanda: un premier malheur comme facteur explicatif
Entre avril et juillet 1994, les Hutus, ethnie majoritaire au Rwanda, vont entreprendre des massacres de masse contre les Tutsis. Le point de départ du génocide intervient après que ces derniers ont été accusés d’avoir orchestré le crash de l’avion présidentiel, alors en phase d’atterrissage vers l’aéroport de Kigali (capitale du Rwanda), le 6 avril 1994. Juvénal Habyarimana, président du Rwanda (lui-même un Hutu) et Cyprien Ntaryamira, président du Burundi voisin, décèdent tous les deux dans cet attentat.
Aujourd’hui encore, les éléments pouvant déterminer l’origine de l’accident n’ont pas tous été élucidés. Le génocide des populations tutsies, dont le nombre de morts est estimé à 800.000 en seulement 100 jours, a également concerné les Hutus modérés. Les proches du président rwandais décédé, formés autour du mouvement idéologique extrémiste Hutu Power, dont était membre Juvénal Habyarimana, se sont rapidement organisés pour faire payer les conséquences de sa mort aux Tutsis, désignés coupables.
Le génocide au Rwanda prend fin lorsque le Front patriotique rwandais (FPR), un parti politique tutsi, arrive à reprendre le contrôle de la capitale Kigali. Son commandant, Paul Kagame, est l’actuel président du Rwanda depuis 2000. Après la fin des massacres, un million de Hutus fuient vers le Zaïre (l’actuelle RDC) pour éviter les représailles sanglantes du FPR, emmené par le commandant Paul Kagame.
La France a joué un rôle trouble dans la fin du génocide. Elle était chargée de mettre fin aux massacres en cours, avec l’opération Turquoise, sans pour autant y parvenir rapidement. Aujourd’hui, le rôle de la France dans le génocide des Tutsis est toujours controversé, bien que le rapport Duclert, publié et remis au président Emmanuel Macron en mars 2021, ait tenté de répondre aux questions laissées en suspens.
Une recomposition politique en RDC et au Rwanda
Parallèlement, de l’autre côté de la frontière rwando-congolaise, un groupe de militaires forme une coalition, l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL), et renverse en 1997 le dictateur du Zaïre, Mobutu Sese Seko, qui était au pouvoir depuis 1965. Leader des militaires ayant pris le pouvoir, c’est Laurent-Désiré Kabila qui prend la tête de ce que l’on appelle désormais la RDC.
Pour réussir une campagne militaire de cette ampleur, Laurent-Désiré Kabila a pu compter sur le soutien du nouveau gouvernement rwandais. Pourtant, quelques années plus tard, le fils de Laurent-Désiré Kabila, Joseph, qui a pris la succession de son père (entre 2001 et 2019), se brouille avec Paul Kagame, le nouveau président rwandais. Ceux qui avaient soutenu le renversement de Mobutu Sese Seko sont désormais les nouveaux ennemis de Kinshasa. La cause? Joseph Kabila voit la présence des réfugiés rwandais, résultat du génocide des Tutsis, comme le bras armé de Kigali dans l’est de la RDC, soumise à des conflits qui s’enlisent.
Le mouvement du 23 mars (plus connu sous le nom de M23), acteur principal de la guerre dans le Kivu, trouve une partie de son origine dans cette histoire. Hormis les anciens généraux hutus qui ont fui vers l’est de la RDC après le génocide, il faut comprendre que ce sont des centaines de milliers de Tutsis qui ont cherché à quitter le Rwanda pour tenter d’éviter une fatalité incontestable: la mort. Les Tutsis rescapés du génocide se sont déplacés vers l’est de la RDC, dans les actuelles provinces du Sud-Kivu et du Nord-Kivu.
Les anciens responsables hutus, eux, ont formé un groupe militaire: les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), également engagées dans le conflit au Nord-Kivu. Organisés en RDC, ce groupe armé a pour ambition de renverser Paul Kagame au Rwanda et de reprendre le pouvoir. Kigali accuse Kinshasa de favoriser les intérêts des FDLR, quand Félix Tshisekedi, actuel président congolais (depuis 2019), reproche à Paul Kagame de soutenir le M23, dont les membres sont à très grande majorité tutsis.
Les acteurs sont multiples. Les groupes armés nombreux. C’est une situation difficile à déchiffrer, mais qu’il convient d’expliquer pour tenter d’appréhender ce qu’il se joue en RDC. C’est le fruit d’une histoire complexe, marquée par la guerre et des massacres sanglants.
Le coltan, un nouveau «diamant de sang»
En cours depuis 2004, avec quelques courts intermèdes, la guerre du Kivu a vu s’affronter les groupes armés présents dans la zone. Les sols de la RDC et notamment du Kivu contiennent entre 60% et 80% des réserves de coltan, un minerai essentiel à la fabrication des smartphones et des ordinateurs. Les enjeux économiques sont énormes et expliquent en partie la guerre dans les provinces de l’est de la RDC.
Après un accord de paix signé le 23 mars 2009 à Goma, capitale de la province du Nord-Kivu, la communauté internationale a enfin pu croire à une paix durable dans cette région du monde, soumise à des massacres constants depuis le milieu du XXe siècle. Mais le Rwanda n’a pas pris part au processus de paix, ce qui a de fait exclu un acteur régional majeur des discussions. Cela a eu pour effet de renforcer les antagonismes entre les groupes militaires engagés dans le Kivu.
C’est dans ce contexte que le groupe armé M23 –dont le nom vient donc de l’accord de paix de 2009– a été constitué en 2012, puis a pris les armes contre les Forces armées de la RDC. Paul Kagame réfute toutes les accusations témoignant du fait que le Rwanda soutient le M23. Le président rwandais doit pourtant bien composer avec un rapport accablant de l’ONG Human Rights Watch, publié le 6 février 2023, qui pointe sans détour que le Rwanda apporte un soutien logistique, financier et humain au M23.
Félix Tshisekedi, réélu à la tête de la RDC en décembre 2023, refuse toujours de s’asseoir à la table des négociations, tant que les soldats rwandais n’auront pas quitté le territoire congolais. Paul Kagame, encore une fois, dément toutes les accusations d’ingérences qui lui sont faites. L’urgence est pourtant belle et bien là.
Selon l’Organisation des Nations unies (ONU), 200.000 femmes ont été violées dans la région entre 1998 et 2013 (c’est le dernier chiffre officiel rendu public). Compter les morts devient mission impossible. Le temps est d’autant plus précieux, alors que le M23 est aux portes de Goma. Complètement dépassée sur le terrain, l’armée congolaise se retrouve à devoir collaborer avec des milices privées, dont les exactions sont là aussi nombreuses, comme le révélait Human Rights Watch dans son rapport de 2023.